Posté le lundi 9 février 2004
Par Vario Serant et Gotson Pierre
P-au-P., 9 févr. 04 [AlterPresse] — La police haïtienne a réintégré ce 9 février les villes de Saint-Marc (nord de la capitale), Grand-Goave (sud) et Dondon (nord) après des opérations dont le bilan n’a pu être encore établi. Mais plusieurs autres villes et localités demeuraient hors de contrôle de l’institution policière, après un mouvement à l’allure insurrectionnelle qui a débuté le 5 février.
A Saint Marc, ville proche des Gonaïves où des insurgés sont toujours en armes, des cas d’exactions des partisans du régime au moment de l’opération. Le premier ministre Yvon Neptune, qui a effectué une visite éclaire à Saint-Marc, qui était contrôlé par des rebelles depuis le 7 février, a déclaré qu’il s’était déplacé pour « encourager la police ».
Jusqu’au début de la soirée, la police n’avait pas pu investir le fief du Rassemblement des Militants Conséquents de Saint-Marc (RAMICOS) dans le quartier dénommé « La Scirie ».
Neptune a également accompagné la police à Grand-Goave. Il a été accueilli par quelques dizaines de personnes, selon les images diffusées en fin de soirée par la Télévision Nationale (d’État). « Nous sommes arrivez, cachez-vous », chantait ce groupe d’individus sans faire allusion directe aux rebelles qui avaient occupé les lieux durant près de 48 heures.
La police a repris le contrôle du commissariat de Dondon, après une occupation de quelques heures par des rebelles. Dans la matinée de ce 9 février, des assaillants avaient réussi à désarmer plusieurs policiers après de rudes affrontements, avaient rapporté des correspondants.
Il n’y a pas de nouvelles de Saint Raphaël (proche de Dondon) dont le commissariat a aussi été attaqué par des hommes en armes faisant fuir les policiers, selon des informations qui étaient disponibles à la mi-journée.
D’autres villes toujours en rébellion
Gonaïves, la 4ème ville du pays, échappait toujours au contrôle de la police et du gouvernement ce 9 février, en fin d’après-midi. La police a essuyé la semaine dernière plusieurs échecs lors de tentatives d’incursion dans cette ville, qui se sont soldées, selon les rebelles, par 20 morts dans les rangs de la police, qui, elle-même, n’a fait état que d’un mort.
Le mouvement insurrectionnel amorcé le 5 février au Gonaïves s’est fait contagieux. Ayant obtenu la participation de la population, il a atteint les villes Marchand-Dessalines, Ennery, Gros-Morne, L’Estère, Anse-Rouge, Petite Rivière de lArtibonite et Trou du Nord.
Réagissant à cet état de fait, le chef du gouvernement a dénoncé un coup d’Etat qui est, selon lui, en cours. A l’instar du président Jean Bertrand Aristide, Yvon Neptune a qualifié les insurgés de terroristes. Il a également pointé du doigt l’opposition politique formelle qui serait, selon lui, liée à tous ces événements.
Selon Neptune, l’opposition a deux facettes : « une aile politique » qui donne l’impression de mener une bataille pacifique et « une branche armée ».
Ce a quoi l’opposition a répondu en disant que le président Jean Bertrand Aristide a la « responsabilité » de la violence qui se développe à travers le pays. Affirmant l’option pacifique du Groupe des 184 qu’il coordonne, André Apaid a fait valoir que « se servant des armes procurées par le pouvoir, la population a pris le chemin qui exprime son désespoir ».
La meilleure solution, la démission d’Aristide, selon Louis Joinet
La situation qui sévit en Haiti a des répercussions sur les activités des organisations humanitaires dans les zones de tension. Sur Radio France Internationale captée à Port-au-Prince ce 8 février, un responsable du Comité International de la Croix Rouge (CICR), Felipe Donozo, a expliqué les difficultés rencontrées par ses équipes durant les derniers jours pour se rendre dans l’Artibonite.
Pour sa part, l’expert indépendant des Nations Unies pour les droits de l’Homme, Louis Joinet, a dit craindre, sur la chaîne internationale TV5 (transmise à Port-au-Prince par Télé Haïti), une catastrophe humanitaire en Haïti en cas de non résolution de la crise.
Vu le pourrissement de la situation, monsieur Joinet croit que la meilleure solution serait la démission de Jean Bertrand Aristide. Concernant l’insurrection du front de résistance pour le renversement de Jean Bertrand Aristide, ci-devant « armée cannibale, Louis Joinet pense que « c’est l’histoire de l’arroseur arrosé ».
L’expert international rappelle que les membres de l’armée cannibale qui étaient soutenu par le régime de Jean Bertrand Aristide s’est retournée contre le pouvoir après la découverte du cadavre mutilé et criblé de balles de son chef, Amio Métayer, le 23 septembre dernier. Un assassinat qui est intervenu, souligne Joinet, à un moment où les pressions internationales pour réclamer l’arrestation du fugitif Amio Métayer s’accentuaient.
L’enfant terrible de Raboteau s’était évadé de la prison civile des Gonaïves le 2 août 2003, à la faveur d’un raid spectaculaire effectué par ses alliés contre le commissariat de police (NDLR).
Le juriste a pailleurs mis en garde contre toute confusion ou amalgame entre l’action d’insurgés qui gagne en ampleur dans le pays et l’opposition formelle qui mène une lutte pacifique pour obtenir le départ du chef de l’Etat.
Logique de terreur
Le pouvoir entreprend une campagne de répression dans certaines villes non encore gagnées par le mouvement de rébellion. C’est le cas notamment au Cap Haïtien (Nord, deuxième ville d’Haïti) et aux Cayes (Sud, troisième ville).
Au Cap Haïtien, une station relais de la radio privée Vision 2000 a été incendiée dans la nuit du 7 au 8 février. Selon des témoignages diffusés par Radio Vision 2000, cet acte a été perpétré par des policiers flanqués d’un ancien député lavalas Nahoum Marcelus et de civils armés.
Il faut dire que, d’une façon générale, la situation de la presse est très préoccupante dans la métropole du Nord. Les stations locales ont suspendu depuis quelque temps leurs émissions d’information suite à des menaces et par crainte de représailles. La presse est sur la corde raide dans cette ville depuis le saccage de Radio Maxima par la police aidée de civils armés.
A Port-au-Prince, Alex Régis, de Vision 2000, fait l’objet de menaces de la part de partisans du pouvoir. Des membres d’une « base lavalas » établie dans son quartier multiplient des visites suspectes à son domicile.
Alex Régis, c’est ce jeune confrère qui a été traité de menteur par le président Jean Bertrand Aristide alors que le journaliste lui avait demandé s’il envisageait de démissionner face à la contestation grandissante de son régime.
Le chef de l’État allait même jusqu’à déclarer que le journaliste était « payé par l’opposition pour poser ces genres de questions ».
A des questions similaires que lui avait posées un journaliste vedette de la chaîne américaine CNN, Anderson Cooper, Jean Bertrand Aristide avait répondu avec une extrême gentillesse.
Aux Cayes (Sud), plusieurs journalistes se sont mis à couvert suite a de persistantes menaces. Des membres de plusieurs secteurs font face à la répression, a dénoncé l’ancien député de la métropole du sud, Gabriel Fortuné. [gp vs apr 09/02/2004 23:30]
La police mise en déroute dans l’Artibonite
Posté le samedi 7 février 2004
par Gotson Pierre
P-au-P., 7 févr. 04 [AlterPresse] — 15 personnes ont été tuées lors d’affrontements entre la police et des rebelles dans l’Artibonite (centre-ouest), selon des informations communiquées par les insurgés, qui ont affirmé avoir pris le contrôle de plusieurs villes du département.
La tension a diminué aux Gonaives après une journée très agitée où des policiers ont été mis en déroute par les membres du Front de Résistance pour le reversement du régime du président Jean Bertrand Aristide. Dépêchés sur les lieux pour rétablir l’ordre, 14 d’entre eux ont été tués durant les échauffourées et un nombre indéterminé a été blessé, selon le porte-parole du Front, Winter Etienne.
La ville était encore barricadée dans la soirée du 7 février, ont fait savoir des résidents à AlterPresse. Des morts civils auraient été recensés.
La situation a également dégénéré dans la ville voisine de Saint-Marc. Le Commissariat de cette ville a été incendié après une incursion de civils armés appartenant au Rassemblement des Militants Conséquents de Saint-Marc (RAMICOS), ont rapporté des correspondants. Plusieurs autres édifices ont été saccagés et des prisonniers libérés.
Une personne a été tuée par balle à Saint-Marc et 4 autres blessées. Ces individus seraient victimes de balles tirées par des policiers qui s’enfuyaient, selon les correspondants.
Les journalistes sur place ont souligné la participation d’une forte partie de la population dans les actions conduites contre la police aussi bien aux Gonaives qu’à Saint-Marc. Aucune autorité n’a été remarquée.
Outre les commissariats des Gonaïves et de Saint-Marc, des groupes armés ont réussi ces dernières 24 heures à prendre le contrôle des sous-commissariats de l’Esthère, Anse Rouge et Gros Morne. D’autres communes seraient également dans une situation très difficile.
Le sous-commissariat de Trou du Nord a été également attaqué et incendié dans la nuit du 6 au 7 février. Des personnes ont été blessées et des résidences saccagées, selon ce qu’ont rapporté des médias.
Les évènements sanglants de ce 7 février se sont produits près de 48 heures après la prise de Gonaives par les rebelles. Les affrontements s’étaient soldés par 12 morts, dont 7 policiers, plusieurs blessés, le commissariat, d’autres édifices et des véhicules de la police incendiés, avait fait savoir le Front de Résistance anti-Aristide.
Jusqu’à l’après-midi du 7 février, le gouvernement affirmait encore avoir le contrôle de la situation dans le département de l’Artibonite.
La police a émis un communiqué ce 7 février, qualifiant d’ « inacceptables » les actes posés par le Front de Résistance des Gonaives. A part les victimes et les dégâts matériels, la police a souligné que des prisonniers, « dont beaucoup de criminels » ont été libérés. Elle a demandé à la population de « garder son calme et son sang-froid » et de collaborer avec l’institution policière.
Dans l’assaut contre le commissariat des Gonaives, les membres du Front étaient appuyés, selon le communiqué, par « d’autres bandits venant du cote de la frontière (avec la République Dominicaine) » et avaient fait usage de fusils d’assaut et de grenade à fragmentation.
Selon le communiqué de la police, plusieurs membres de la population civile ont été tués par les rebelles, ainsi que de « vaillants policiers » qui « offraient une résistance loyale ».
Dans un discours prononcé ce 7 février face a des dizaines de milliers de partisans et sympathisants, à l’occasion du troisième anniversaire de son entrée en fonction pour son second mandat, le président Jean Bertrand Aristide a qualifié les rebelles de « terroristes ». « Oui à une opposition politique, non a une opposition terroriste », a martelé le chef de l’État, alors que ses partisans scandaient des slogans en faveur du respect de son mandat qui arrive à terme en 2006.
Après avoir procédé à l’inauguration de 4 places publiques à la capitale, Aristide a pris un bain de foule et des milliers de ses partisans ont défilé dans les rues pour signifier leur appui au chef de l’État.
Le Front de Résistance, anciennement Armée Cannibale, n’a jamais caché ses relations passées avec le pouvoir en place. Cette semaine encore, Winter Étienne a rappelé que des armes et de l’argent leur avaient été fournis par le gouvernement afin de combattre l’opposition. C’est l’assassinat en septembre dernier de leur chef, Amiot Métayer, attribué à l’administration Aristide, qui leur a fait changer de camp.
L’opposition a exprimé des réserves sur la situation aux Gonaives. L’ex maire de Port-au-Prince, Evans Paul, de la Plate-forme Démocratique, a estimé que ce qui se passe la-bas est le résultat « du désordre de Jean Bertrand Aristide ».
Evans Paul s’est dit « soulagé » d’entendre les membres du Front affirmer qu’ils seront prêts « à se soumettre à de nouvelles autorités ». Paul les a invités « à éviter la violence » et à comprendre que « les armes ne vont pas permettre de résoudre tous les problèmes ».
Les Etats-Unis ont condamné l’action armée aux Gonaives. Dans un communiqué transmis le 6 février à la presse, l’ambassade américaine a rejeté la violence en tant que démarche de prise du pouvoir. Les Etats-Unis ont exprimé leur soutien aux efforts de la Communauté Caribéenne (CARICOM) pour résoudre la crise haïtienne.
La mission spéciale de l’Organisation des États Américains a exprimé son inquiétude croissante face à la situation dans l’Artibonite. Tout changement politique doit être effectué pacifiquement et démocratiquement, a souligné la mission, qui a invité le gouvernement à remplir ses obligations de façon mesurée et impartiale, en tenant compte pleinement des droits de tous les citoyens.
La mission encourage le gouvernement à mettre en oeuvre pleinement et sans délais les engagements pris à Kingston le 31 janvier 2004, lors de récentes consultations entre l’administration d’Aristide et la CARICOM.
Aristide s’est engagé à entreprendre des réformes visant à établir des conditions de dialogue avec l’opposition. Celle-ci refuse encore toute négociation et s’en tient à la démission du président Aristide. Une manifestation est d’ailleurs prévue en ce sens ce 8 février à Port-au-Prince. [gp apr 07/02/2004 21:00]